Pourquoi les rappeurs ne doivent pas être les bras armés du M23
Chroniqueur reconnu pour sa capacité à conceptualiser et saisir le sens des faits et attitudes politiques, Mame Less Camara a encore eu un trait de lucidité aux premières heures de Y en a marre sur l’espace public : il leur faut élaborer un discours. L’analyste, très expérimenté, avait une lecture très avant-gardiste du rôle de ce mouvement. D’abord, il est initié par des jeunes. Dans un pays comptant 58 % de sa population dans cette tranche d’âge, il est contre-productif de s’aliéner le point de vue d’un groupe qui s’érige en porte-voix. C’est, en quelque sorte, la voix de l’avenir. Un regard critique qui doit être posé sur les grandes options de gouvernance. Un regard, aussi, sur les actes posés en direction de ce grand voyage vers le futur.
Ensuite, ces jeunes n’ont pas le suffrage des urnes. Ils ne portent pas, sur la poitrine, les symboles tricolores de l’Administration territoriale, centrale, des collectivités locales ou du Parlement. Leur légitimité relève d’un devoir de vigilance sur toute la gestion du bien public et la demande démocratique. Un groupe de rap dit clairement : « c’est la rue qui nous a élus ». C’est dans une chanson, certes, mais, c’est une posture qui traduit un état d’esprit. Intimement, un rappeur parle et se comporte en représentant d’un courant rebelle à l’ordre, aux conspirations voire, de manière générique, les immobilismes politiques, sociaux, économiques, etc. Il n’est pas un conservateur englué dans les canaux traditionnels de compromis sociaux, les compromissions économiques et les dérives politiques.
Y en marre s’est jeté dans l’espace public avec la trompette du « Daas fanaanal » (campagne d’incitation à l’inscription sur les listes électorales). Le barrage à un troisième mandat du président Wade est venu garnir le tableau de griefs. En se massifiant, surtout avec des antennes locales et des actions d’utilité publique (assainissement, don de sang…), Y en a marre a suscité l’envie des politiques. Ceux-ci y voient une locomotive pour leurs grandes mobilisations. L’opposition, réunie au sein du CPA, a eu de la peine à faire sortir les Sénégalais dans la rue à la veille du démarrage de la campagne pour la présidentielle de 2007. La formule, très imagée, qui traduit l’impuissance des nouveaux opposants face à l’opposant historique fait florès : « Il n’y a pas un Wade face à Wade ». Ce n’est pas simplement une affaire d’homme, mais de style. Le Front Siggil Sénégal puis Bennoo n’ont pas fait mieux, hormis l’éclaircie des Locales de 2009. Une opposition, c’est une complicité avec les électeurs et, dans une large mesure, les foules, y compris dans leur passion hypnotique décryptée par les philosophes. Il était fait à Wade la querelle de n’être que le représentant des gamins n’ayant pas l’âge de voter. Son discours et se ténacité ont habité les cœurs de ces jeunes ayant connu une année blanche en 1988, une session unique en 1993 puis une année invalidée en 1994. Cette génération des Diagne Fada et Chaka, la fameux élève-leader de grèves au lycée Blaise Diagne, s’est forgée dans l’adversité. En 2000, les gamins ont grandi et ont perçu la nécessité de voter. Le Parti socialiste et ses alliés, alors au pouvoir, ont été en retard d’un argument pour enrôler ces Sénégalais nés dans un contexte de sécheresse, d’ajustements structurels, d’ajustements structurels renforcés marqués par l’effondrement des secteurs sociaux comme l’éducation et la santé, de plan d’urgence Sakho-Loum avec les coupes sur les salaires, les revendications liées aux Impôts sur les revenus et les personnes physiques (IRPP). Indice de complicité avec la rue : l’entrée de Wade dans le Gouvernement élargi à l’opposition vide la rue de ses mécontents.
Aujourd’hui dans l’opposition, le Ps, les dérivés politiques de la maison socialiste telle que l’AFP essaient une opération de charme en direction de ces jeunes. Un exercice difficile pour ceux qui, dans la décennie 90, sous la férule du tout puissant ministre d’Etat chargé des Services et Affaires présidentiels, Ousmane Tanor Dieng, dépeignaient ces jeunes comme la « chair à canon d’Ousmane Ngom ». Les rôles ont changé. Le pouvoir socialiste avait refusé le Palais aux rappeurs si bien que l’audience entre le président Diouf et le duo Awadi-Doug e Tee ressemblait à un inédit. Preuves de la frilosité de ce système, le tube « Deuk bi lak na » (le pays est en flammes) de Yat-Fu est censuré par la Télévision nationale. Il y est question de dénonciation des agresseurs ! Le tube « C’est pas normal », fustigeant les délestages (déjà !), la corruption et la médiocrité dans certains secteurs de la communication, conçu par le Positive Black Soul a le même destin à la Radio nationale. Les temps changent. Les censeurs d’hier sont les prophètes d’aujourd’hui. Ils disent les destinées et détiennent, seuls, les portes du paradis des démocrates. Les rappeurs veillent. A haute voix.
Le 19 mars, Y en a marre boude les politiques et fait une opération en solo. Le 23 juin, Bennoo compte sur ces rappeurs pour faire échec au projet de loi constitutionnel instituant un ticket présidentiel et l’élection à la magistrature suprême à plus de 25% des suffrages valablement exprimés. La rue gronde. La colère inonde la Place Soweto et s’étend à Sandaga, notamment à l’hôtel des députés vandalisé et incendié.
Un mouvement de rap ne peut assumer des actes anti-républicains et aux antipodes du « peace and love » (paix et amour), sa philosophie de vie. La même remarque vaut pour les razzias organisées du 27 juin, au motif des coupures d’électricité. L’idée d’un soulèvement populaire est agitée. Plusieurs sources font état d’un refus des « Y en a marristes » d’être les bras armés de politiciens désireux de conquérir le pouvoir. Là, commencent les différences d’approche : lorsque les leaders de Bennoo veulent mettre la pression pour que Wade quitte le pouvoir au prétexte d’un verdict de la rue, les rappeurs s’inscrivent dans le respect du calendrier républicain. Que Wade termine son mandat et jouisse de sa retraite politique. Cette option a douché bien des ardeurs !
Face à l’incapacité à mobiliser les Sénégalais autour de leur cause, certains opposants ont sauté sur l’occasion à eux offerte par le cours des évènements, ce 23 juin. Le subterfuge est, tout simplement, de s’accaparer tout le mérite au détriment de la Société civile, des rappeurs et des autres Sénégalais sortis spontanément pour cracher leur colère sur le projet de modification constitutionnel. Bennoo s’accroche à cette date en s’empressant de mettre sur pied le Mouvement du 23 juin. Très vite, le requiem du « Mouvement des Forces vives », porté sur les Fonts baptismaux vingt-quatre heures plus tôt au Centre Daniel Brottier, est prononcé. C’est un remontant pour une opposition en mal de méthode de lutte et aux pieds engourdis dans le salon, de Dansokho en lieu et place d’un travail de massification, sous le soleil sénégalais. Le seul cri de ralliement reste le départ de Wade. Ils se mettent sur les traces du chef de l’Etat, à Touba. Y en a marre refuse de s’adonner à ce jeu de politique après le combat ou de fidèle après les dévotions. Ils sont dans l’action : le « Daas fanaanal ». Une carte citoyenne pour exprimer son choix.
Lamine Birame Ndour
Sémiologue
Montréal - Canada